Dans la plaine orientale de Corse, entre les villages perchés de Cervione et d’Aléria, s’étend un patchwork de vergers et de champs, doucement caressés par les vents marins. Ici, les montagnes, imposantes sous leur manteau neigeux en hiver, dominent une mosaïque de terres fertiles : berceau de la clémentine, où chaque arbre raconte l’histoire d’un terroir à la fois singulier et vibrant, subtilement imprégné de notes douces et acidulées.

Au lever du soleil, dans les vergers baignés d’une lumière dorée, Georges Fouilleron et son fils Michael traversent les rangées d’arbres, absorbés par le travail minutieux qu’exige la culture des clémentines. Chaque arbre porte les marques d’une attention collective, d’une fierté locale, enracinée dans la passion et la persévérance.

Georges a rejoint l’aventure quasiment au début de l’IGP, il y a un peu plus de vingt ans. Il revient sur la ténacité qu’il a fallu pour transformer cette vision en réalité :
« Cela n’a pas toujours été facile, confie-t-il. Face à un marché ultra-concurrentiel, nous avons misé sur la maîtrise et la qualité. En défiant les standards établis, nous avons imposé la clémentine de Corse grâce à une amélioration continue et un savoir-faire inégalé. »

À ses débuts, Georges s’était, comme beaucoup de ses confrères, lancé dans la culture du kiwi. Mais ces lianes, bien qu’intéressantes à cultiver, ne répondaient pas à son amour pour les arbres. « Avec leurs racines ancrées et leur charme singulier, les clémentiniers représentent une culture qui allie rigueur, innovation et harmonie avec la nature », explique-t-il.

Pendant des décennies, les producteurs de la coopérative ont perfectionné chaque aspect des exploitations. Constamment à la recherche d’innovations plus propres, plus qualitatives, rien n’a été laissé au hasard : systèmes d’irrigation efficaces, fertilisation biologique… Mais une fois ces solides fondations instaurées, ils se sont interrogés sur ce qu’ils pouvaient encore améliorer. C’est alors que Georges a conçu la “taille longue”.

Une méthode qui laisse les branches s’étendre pour capter un maximum de soleil, favorisant une photosynthèse optimale et une meilleure aération des fruits. Cette innovation, aujourd'hui adoptée par de nombreux producteurs, est devenue un pilier de l’excellence de la clémentine de Corse.

Chaque hiver, cette taille précise marque le début du cycle de production. Une matinée typique commence dans les vergers encore endormis, où la rosée perle sur les feuilles. Georges, accompagné de Michael son fils, s’assure que tout arbre bénéficie d’un soin minutieux. "Ce n’est pas seulement une technique agricole, c’est un art", dit-il en expliquant comment la taille longue améliore la santé et la productivité des arbres.

Lorsque le printemps arrive, les vergers s’animent sous le souffle des vents doux. Les premières fleurs apparaissent, annonciatrices des fruits à venir. Ces fleurs, délicates mais résistantes, symbolisent tout le travail de préparation accompli en amont. Georges veille à l’équilibre fragile de cet écosystème, utilisant des pratiques biologiques et des auxiliaires naturels pour préserver la santé des arbres. "La nature, si on la respecte, nous donne toujours le meilleur", dit-il en arpentant ses vergers. Les pollinisateurs, attirés par les parfums délicats des fleurs, participent discrètement à ce cycle de vie. Les abeilles virevoltent dans une harmonie silencieuse, rappelant l’interdépendance entre les êtres vivants.

Au fil des jours d’été, les arbres portent leurs fruits comme un trésor en devenir. Les feuilles denses protègent les clémentines en formation des assauts du soleil brûlant, tandis que l’irrigation en micro-aspersion garantit une hydratation parfaite. Les fruits commencent à prendre leur couleur distinctive, signe que la récolte s’approche. C’est une période d’anticipation et de vigilance où tout détail compte. La chaleur écrasante de l’été n’effraie pas les producteurs, qui voient déjà dans tout fruit la promesse d’une récolte d’exception.

L’automne marque l’heure des premières récoltes. À la fin du mois d’octobre, la Caffin, surnommée « la précoce » pour sa chair juteuse et sa douceur hors pair, inaugure la saison. Les fruits, cueillis à la main avec une attention méticuleuse, témoignent de tout le soin apporté à chaque étape de la culture. Les récolteurs traversent les vergers en plusieurs passages, ne prélevant que les clémentines parvenues à leur parfaite maturité.

« C’est le fruit d’une année entière de travail et de passion. Alors, nous n’hésitons pas à revenir trois ou quatre fois pour les cueillir au moment le plus opportun », souligne Georges.

Contrairement aux agrumes passés en chambre de déverdissage, celles de Corse mûrissent directement sur l’arbre, conservant ainsi leur caractère authentique corsé. Elles arborent encore leurs feuilles, gage d’une fraîcheur absolue. "Les feuilles sur la tige, c’est la signature Corse", explique Michael, le fils de George, désormais à la tête de l’exploitation.

Novembre voit l’arrivée de la Fine de Corse, la SR92. Rafraîchissante et gourmande avec sa douceur subtile et son acidité légère, elle est devenue un incontournable des tables des fêtes de fin d’année. 

Pendant longtemps, Georges a déconseillé à ses enfants de suivre son chemin. Le métier d’agriculteur lui a réservé bien des épreuves, et il connaissait la rudesse du travail. Pourtant, les années ont donné raison à sa persévérance : la filière s’est structurée, les méthodes se sont affinées, et la clémentine de Corse est devenue un produit emblématique de l’île.

Alors que l’exploitation prospérait et que son départ à la retraite approchait, Georges a proposé à son fils Michael, opticien de métier, de prendre la relève. Un choix inattendu pour ce dernier, qui a pourtant ressenti un appel viscéral à revenir aux racines familiales. À 37 ans, il a repris le chemin de l’école pour décrocher un bac agricole. Depuis trois ans, il suit les pas de son père, apprenant chaque geste, chaque subtilité de la culture des clémentines.

Tous les matins, père et fils arpentent ensemble les vergers, observant la santé des arbres, échangeant sur les décisions à venir. « Ce n’est pas seulement un métier, c’est un héritage », dit Michael.

Au-delà de leur production, Georges et Michael partagent un attachement profond à la filière. Ils collaborent étroitement avec l’ensemble des producteurs pour maintenir l’exigence imposée par l’IGP. Cette certification, obtenue après des années de travail collectif, représente bien plus qu’un label : elle est le garant de l’authenticité et de la qualité des clémentines de Corse. "Nous sommes fiers de ce que nous avons construit ensemble", déclare Michael en évoquant l’union des producteurs. Au côté de son père, avec un regard neuf mais respectueux des traditions, il poursuit la modernisation des processus sans jamais altérer l’authenticité du produit. Leur vision d’avenir repose sur cette quête perpétuelle de pratiques encore plus durables, avec le souci de consolider davantage la filière et de renforcer les liens entre producteurs.

Michael, pleinement engagé dans la transition, voit dans ces méthodes une preuve du génie agricole de son père et s’attelle à en perpétuer l’excellence. Loin de se contenter de maintenir l’existant, ils envisagent l’avenir.

Ensemble, ils préparent l’ouverture d’une usine de jus d’agrumes frais, un projet ambitieux qui marquera un tournant pour l’exploitation. « L’objectif est d’exploiter toute la richesse de nos fruits, sans rien gaspiller », explique Michael, déjà impliqué dans la gestion de cette nouvelle branche d’activité.

Georges sait qu’il peut bientôt passer le flambeau. Son fils maîtrise peu à peu les rouages du métier et apporte sa propre vision, alliant respect des traditions et innovation.

La clémentine de Corse est l’une des fiertés de l’île, un fruit qui raconte la singularité de ce terroir. Pour Georges, savourer une clémentine de Corse, c’est entrer dans cette histoire riche de tradition, d’innovation, et de respect pour la nature.