L'HUILE D'OLIVE DE LA VALLÉE ENSOLEILLÉE DU ROUSSILLON

L'automne prospère, et dans le Roussillon la récolte des olives bat son plein. Tandis que les feuilles des arbres à ramage caduque s'ornent de tons jaunes et rouges, les olives achèvent leur mue. Celle qui les bichonne, c'est Marie-Neige. Pantalon de toile et haut vert tendre, top fleuri d'hibiscus roses, petite voix pointue et gentillesse à fleur de pétale, elle tait son âge depuis ses 20 printemps. Malgré deux enfants adultes, sa fraîcheur et son enthousiasme juvénile floutent les lignes. Elle commence la promenade dans un éclat de rire : "Je me prénomme Marie-Neige. Désolée, ça n'est pas de saison !" Entre les oliviers, comme un léger flocon, Marie-Neige virevolte. Elle laisse dans son sillage le parfum du soin dont elle a enduit sa chevelure couleur d’automne. Elle observe, contemple, sourit. "La maturité des fruits se jauge à l'œil". Côté soleil levant, les olives sont noires, au couchant vertes encore. "Mi-vert, mi-mûr, c'est le moment où elles ont le plus d'aromatique" explique l'oléicultrice. En septembre, l’arrosage recommandé par l’AOP parcimonieux mais nécessaire pour donner du fruit, cesse. Fin octobre, l’oliveraie se pare pendant deux ou trois semaines de couleurs mélangées. Les rameaux chargés ploient sous le poids d'olives vertes, tachées de violine, mauves ou noires, contrastant avec leur décor de feuilles vert sombre côté pile, argenté côté face. "Chaque variété doit être cueillie à la maturité qui révèle sa typicité. Trop tôt, les fruits donneraient une huile amère, trop vive ou trop ardente. Cueillies plus tard, les olives donnent en plus grande quantité une huile moins aromatique."
Le ciel est aujourd'hui couvert, l'air doux, chargé d'odeurs. Le gazouillis des oiseaux, jailli en trilles et pépiements, ajoute à la douceur ambiante. Derrière les oliviers, les cyprès dressés permettront la pollinisation en conservant dans leurs branches les pollens que le vent déposera sur l’oliveraie. Ils donnent à ce paysage méditerranéen de faux airs de Toscane. Mais nous sommes dans la plaine du Roussillon, bordée d'une part par la chaîne des Pyrénées, de l'autre par le massif des Corbières et au loin, tombant vers la mer, celui des Albères. Le lieu offre à la culture des olives un microclimat idéal grâce à la Tramontane qui chasse les nuages et permet le taux d’ensoleillement le plus important de France. Les arbres du domaine ne subissent aucun traitement. La protection des Pyrénées, l’enherbement et les 35 km qui les séparent de la mer préservent les olives des attaques de mouches, seul véritable danger qui les guette.
Variétés endémiques, culture et fabrication traditionnelles, les ingrédients sont réunis pour la création d’une AOP que l'INAO accordera certainement bientôt afin de soutenir l’extraordinaire richesse oléicole du terroir roussillonnais.

Le mas de la famille Fabre se trouve à l'Ille-sur-Têt, près des Orgues, cheminées des fées spectaculaires qui ont donné leur nom à l'huile. Il est enserré entre les Pyrénées, le Canigou, qui arbore fièrement ses 2 785 m, et la colline Força Real dont le petit ermitage, Notre-Dame des Neiges, a inspiré à Alice et Noël Fabre le prénom de leur fille. C'est donc sous le patronage de Marie des Neiges qu'a germé cette histoire.
50 ans plus tôt en effet, Noël et son épouse Alice, surnommée Lily, cultivaient des pêchers. Le fruit est fragile, sa culture aléatoire, et le couple se passionne peu à peu pour les variétés anciennes d'oliviers du Roussillon. Sous Louis XIV, le secteur était la plus grosse région oléicole de France. En 1956, presque toute l’oliveraie du département gèle. Ces arbres mettant longtemps à produire, les paysans lancent d’autres cultures. Mais quelques oliviers rejaillissent. Sur les 7 variétés endémiques que compte la région, 5 possèdent des profils aromatiques fantastiques. C’est de ces 5 pousses anciennes que sont repartis les Fabre, retissant les fils ténus qui subsistaient. En 2003, les premiers oliviers remplacent les pêchers fatigués. Peu à peu, à raison de 3 hectares par an, les arboriculteurs enrichissent l'oliveraie de nouveaux pieds, de nouveaux fruits. Un travail de très longue haleine, car il faut 8 ans aux oliviers pour produire. Aujourd’hui tous les pêchers ont été rachetés dans les rameaux d'olivier...
L'Olivière aux arômes de feuille de tomate, amande et artichaut cru dont l’huile d’un or éclatant est appelée l’or jaune du Roussillon. La Glory aux accents de noix et noisette. La Poumal toute ronde aux notes de vanille et d'herbe fraîche. La rare Courbeil, au parfum de fruits rouges. Et la Verdale à maturité tardive, qui évoque l'herbe et la noix. Variétés endémiques, culture et fabrication traditionnelles, les ingrédients sont réunis pour la création d’une AOP que l'INAO accordera certainement bientôt afin de soutenir l’extraordinaire richesse oléicole du terroir roussillonnais.
Ce n'est pas pour rien que les créations des Fabre inspirent les grands chefs, des entrées aux desserts, comme la glace « huile d’olives » de Gérard Cabiron.

Le mas de Noël et Lili trône dans un berceau végétal, encadré d’un palmier, de lauriers sauce et d’un bougainvillier immense, couvert de fleurs violettes. Grands chênes et cyprès bordent les champs ; tilleuls, lauriers, figuiers ou platanes encadrent les routes. À leur pied grimpent le chèvrefeuille au parfum délicat, le lierre aux senteurs de miel, les orties, et la menthe qui ajoute à ce cocktail olfactif une douce fraîcheur. C'est au mas que Marie-Neige est née. Et Noël, son papa, avant elle. C'est ici aussi que l'huile des Orgues a vu le jour et qu’elle est fabriquée aujourd'hui. La "fruité mûr" a reçu la médaille d'or au concours général agricole de Paris, en 2019. Et une médaille d'argent a salué la Fruitière en 2022. Ce n'est pas pour rien que les créations des Fabre inspirent les grands chefs, des entrées aux desserts, comme la glace « huile d’olives » de Gérard Cabiron. En 2012, Marie-Neige a quitté son poste d’ingénieur agricole en région parisienne pour se consacrer pleinement à l’oliveraie. Philippe, son époux, a lui aussi été conquis par le Roussillon et ses fruits. Ils travaillent avec Noël et Lily à l’huile des Orgues, aidés ponctuellement par leurs deux enfants, Jérémie et Marie-Emeline.
En ce milieu d'automne, est venu le temps de la cueillette. Ils sont déjà là, les 7 journaliers, venus de toute la France avec tente ou camping-car, qu'ils posent çà et là sur l'oliveraie pour les 7 semaines que prendra la récolte. Dès l'aube, armés d'un peigne vibrant poussé à bout de bras, les cueilleurs passent dans les oliviers plantés en gobelet à 7 mètres les uns des autres, jusqu'à leur sommet. Ils sont rapides, l’œil vif, repérant les tâches noires à chasser. Les olives, semblables à de petites cerises vert tendre, mauves ou noires, mêlées de feuilles, s’amoncèlent dans les grands filets sombres tendus au pied des arbres. Lorsque les végétaux sont peignés, l'un des ramasseurs, une extrémité du filet tenue dans chaque main posée sur l’épaule correspondante, avance avec sa cape de super héros. Méthodique il tire les filets pour ramener les fruits sur la toile suivante et étendre le filin vide à sa suite, ainsi jusqu'au bout de l'allée. Les ramasseurs versent la récolte dans des caisses qui s'amoncellent peu à peu sur le tracteur. Puis la cargaison est conduite au mas pour être triturée, c’est-à-dire pressée, dans la foulée.
Les Olivières violettes destinées à l’huile « fruité noir » sont quant à elles passées en chambre de maturation entre 23 et 25 degrés, couvertes afin de créer les conditions anaérobiques qui permettront un début de fermentation.

A ce stade, c'est Philippe qui prend les choses en mains. Vétérinaire de métier, il s'est pris de passion pour la fabrication de cette huile des Orgues créée par sa belle-famille. Dans la grange, il s'active d'un poste à l'autre. Les Palox remplis par les cueilleurs passent à l'effeuilleuse. Le tapis élévateur de la trémie porte les olives à la laveuse. Un vibreur les égoutte, puis elles partent au broyage, à 26 degrés minimum, et au malaxage pendant 20 mn, formant une pâte dont la couleur, verte ou rose, dépend de la variété du fruit. La pâte gagne le décanteur, magnifique cylindre d'acier qui tourne à 3000 tours par minute, séparant l'huile... de tout le reste. Du décanteur sort une huile verte lumineuse, incroyablement dorée. Richement parfumée, douce, elle tapisse la bouche, les lèvres, caresse la langue, chauffe la gorge, comme poivrée. Règne cette odeur tiède d’olive fraîche écrasée. Le cycle dure de 2 à 3h pour un Palox... et Philippe en enchaîne 7 par jour. Un travail de titan ! Puis le goûteux liquide est placé en bidon deux jours durant afin de le laisser déposer. Il est enfin versé dans les cuves, parcelle par parcelle, en vue de la mise en bouteilles après assemblage. Les grignons, faits notamment d'eau et de restes de noyaux, sont épandus dans les champs. Les Olivières violettes destinées à l’huile « fruité noir » sont quant à elles passées en chambre de maturation entre 23 et 25 degrés, couvertes afin de créer les conditions anaérobiques qui permettront un début de fermentation. Elles sont triturées quelques jours après, lorsqu’elles ont pris leur goût d’olives noires.
De ce travail artisanal, deux belles huiles sont nées, douces, fines, savoureuses.

De ce travail artisanal, deux belles huiles sont nées, douces, fines, savoureuses. Une huile "fruité vert" faite d'Olivière et de Verdale, délicate et équilibrée, alliant la finesse aux notes vertes et fruitées. Et la douce "fruité noir" dont la légère fermentation stoppée à temps donnera des saveurs de tapenade et de feuilles de tomates. L’assemblage est réalisé par parcelle, afin de conserver une constance de goût sur l’année. « Comme pour les champagnes des grandes maisons ! » Grandes par le caractère, ces huiles le sont aussi par la délicatesse. À l'image de Marie-Neige ! Elles n'occulteront jamais les mets qu'elles accompagnent, mais les sublimeront. Le péché mignon de leur créatrice : des fruits rouges relevés d’un filet d’huile d’olives ! « Je suis une épicurienne. Le goût est notre moteur. Autrement nous n’aurions pas travaillé ces variétés ! Nous avons dix fois moins de rendement, mais dix fois plus de goût. Et le plus beau, c’est que nos oliviers traverseront le temps… »









