TRUITE ARC EN CIEL DES HAUTS DE FRANCE

Dans les bassins, le spectacle est fascinant. Elles auraient pu inspirer à Saint-Exupéry sa fameuse phrase : « S’aimer, c’est regarder ensemble dans la même direction. » Un torrent argenté de truites irisées s’acharne à remonter le courant, animé par un instinct immuable, unité de milliers de corps et d’yeux luttant contre un courant contraire, éternellement désireux de rejoindre la source. Tout à coup, une étoile filante ! Une truite fonce en avant, fendant les eaux : une éclaboussure, un zigzag scintillant, une trace blanche… La Formule 1 des truites arc-en-ciel émerge un quart de seconde puis se glisse à nouveau dans le rang.
La principale source qui les baigne est celle du Rû, calfeutrée dans un écrin sombre d’arbres de rivière et d’orties grassement nourries, protégée des rayons ardents, fraîche et pure. Ses eaux alimentent directement les bassins de la pisciculture d’Etrun, dans le Pas-de-Calais, puis un peu plus loin celles d’Anzin-Saint-Aubin. Cette dernière, créée en 1923 par l’arrière-grand-père de Louis Rohart, maître actuel des lieux, fut l’une des premières fermes aquacoles de France. C’est dire si un siècle d’élevage de truite arc-en-ciel a donné à Louis les clefs pour proposer un poisson de grande qualité ! Ses études en ichtyologie* ont confirmé son goût pour ce métier.
La seconde pisciculture, fondée en 1932, a été reprise par Louis en 2015. La chaîne aquatique est parfaite : la source court dans les bassins d’Etrun, en ressort filtrée pour qu’une eau qualitative poursuive son chemin jusqu’à la pisciculture d’Anzin-Saint-Aubin et revienne à la rivière filtrée à son tour. Louis assure ainsi la pureté de l’eau dans laquelle vivent les poissons, et utilise les fèces recueillies au filtrage pour fertiliser ses champs.
*Ichtyologie : science des poissons
Il se procure les œufs fécondés dans les Landes. Alimentés par la source du château voisin, les bassins d’éclosion s’animent quatre fois par an, en hiver, au début de l’été et à l’automne.

La silhouette haute, longiligne, plantée dans de grandes bottes de caoutchouc, le visage bronzé comme celui d’un homme qui passe sa vie au grand air, l’œil vert comme le fond de la rivière, Louis élève ses truites de l’œuf à… l’assiette. Il se procure les œufs fécondés dans les Landes. Alimentés par la source du château voisin, les bassins d’éclosion s’animent quatre fois par an, en hiver, au début de l’été et à l’automne. Vincent, le responsable de l’alevinage, y œuvre avec passion. Lorsque les œufs arrivent, il les pèse puis les répartit équitablement sur des claies dans chaque bassin, facilitant ainsi le dosage futur de la nourriture.
Lorsque les larves éclosent, elles passent entre les trous oblongs de ces claies et gagnent le fond du bassin. Ne demeurent à la fin que les œufs blancs : ce sont les œufs non fécondés. Lorsque tous ont éclos, Vincent retire les claies. Les alevins tapissent le bassin, semblables à des coraux orangés, évoluant dans une eau à 10 degrés. L’alevin, larve grisée transparente aux gros yeux noirs, est doté sous le ventre d’une poche orange, nommée vésicule vitelline, qui le nourrira quinze jours durant. Puis la poche diminue et Vincent prend le relais, distribuant les aliments.
Passionné de nature, il prend pour soigner les truitelles un soin d’orfèvre. Il nettoie les larves avec une plume d’oie, l’outil le plus doux qui ait été trouvé, éprouvé depuis un siècle d’élevage de la truite arc-en-ciel. Louis confirme : « J’ai toujours vu les anciens utiliser ces plumes. C’est un outil solide, qui ne pourrit pas, et tellement délicat ! » À côté de l’alevinage, en extérieur, barbotent des truites de différentes tailles.
Une petite rivière longe les bassins, bordée de saules pleureurs et de cresson sauvage. Dans certains s’agitent des milliers de truitelles, tapis sombre et mouvant, dense sous l’eau limpide. Ration leur est donnée tous les matins, semée à la main, comme le grain. Le geste du semeur que Louis est par ailleurs. « Moi je bouche les trous, ici ! » s’amuse-t-il. La « nurserie des poissons » déménagera bientôt pour un bâtiment moderne et couvert, dont les auges hautes rendront le travail plus aisé.
Il faut 17 mois pour fournir de beaux filets, et deux années pour qu’une truite prodigue de larges pavés de chair bien ferme.

Après 3 mois, les truitelles quittent l’alevinage et partent en pisciculture. Là, des dizaines de bassins abritent des truites de plus en plus grandes, jusqu’à 2,5 kg. Les reflets bleus, roses, jaunes de la peau tachetée des poissons chatoient. Le soleil darde ses rayons chauds sur les piscines irisées et mouvantes. Il a enfin réussi à repousser les nuages blancs et opaques. Le ciel reprend vie. Tous les bassins sont couverts de vastes filets destinés à réduire les attaques aériennes : les prédateurs viennent du ciel. Canards, mouettes, cormorans et hérons voient s’agiter sous leurs ailes un immense garde-manger qui ne les laisse pas insensibles. Les hérons fort habiles s’introduisent partout en soulevant les filets de leur bec. Louis assure en alternance avec ses employés l’astreinte nocturne nécessaire à la surveillance permanente des poissons.
La truite de portion mettra un an pour atteindre la taille idoine. Il faut 17 mois pour fournir de beaux filets, et deux années pour qu’une truite prodigue de larges pavés de chair bien ferme. Plus les poissons sont petits, plus le bassin s’agite. Les grandes, argentées, de plus en plus calmes, toujours tournées contre le sens de l’eau, affleurent volontiers, découvrant leur robe couleur de lune traversée d’un rose liseré.
Les exigences majeures : pas d’antibiotiques, un contrôle permanent de l’eau qui doit être riche en oxygène, pauvre en CO2, et ne doit pas dépasser les 14 degrés.

Louis est amoureux des Hauts-de-France dans lesquels ses racines sont si profondes. Ils s’avèrent en outre le lieu idéal pour élever des truites. « Nous avons la chance d’avoir de l’eau en quantité qui ne monte pas à plus de 15 degrés même au plus fort de l’été, et de nombreuses sources. » Ce qui le passionne dans ce métier ? La vie en plein air, un travail très varié au contact de l’eau, des truites, et du consommateur, grâce à son atelier de transformation et à la boutique attenante. Et puis il aime l’organisation de ce transport si particulier aux poissons, qui doivent être livrés vivants. « Nous faisons un produit de proximité : c’est le seul poisson que l’on peut trouver à 50 km de chez soi, où que l’on habite en France. Je le pêche le jour, les gens le mangent le soir ! »
Pour nourrir son élevage, il substitue de plus en plus à la farine de poisson les coproduits, fabriqués avec les restes des ateliers de transformation, et les farines d’insectes. Lorsque les granules rouges sont lancés à la volée, l’eau devient un frémissement intense, une marée de dos grisés, de ventres aux reflets arc-en-ciel. Les exigences majeures : pas d’antibiotiques, un contrôle permanent de l’eau qui doit être riche en oxygène, pauvre en CO2, et ne doit pas dépasser les 14 degrés. Les truites de Louis répondent à la « Charte qualité - Aquaculture de nos régions® ».
Un siècle d’expérience familiale feront toujours la différence !

Leur chair crue, d’un orange soutenu, est striée de blanc, comme les cernes de croissance des arbres. Louis ne se lasse pas de les déguster. « C’est un beau poisson, à la chair ferme, pas trop gras, riche en omégas 3 et gustativement délicieux ! Ma préférence : les pavés de truite en papillote avec tomates, thym, citron… 15 mn au four ! » En effet lorsqu’on goûte le fondant de cette truite arc-en-ciel… on monte au 7e ciel ! Un siècle d’expérience familiale feront toujours la différence !







